Quinie ARAGUAS

 

La concordance des temps

 

Si on m’ouvrait moi aussi on trouverait aussi des plages

D’ailleurs mon premier atelier d’un peu d’importance fut la plage, et cela dura des années.

Puis j’ai transporté la plage dans l’ atelier

Mais d’abord, au tout début, il y a eu la terre.

D’abord la vase couleur d’or au soleil couchant les soirs de septembre et de Mascaret.

Le vase puis l’argile, la glaise qu’on façonne. Les premières sculptures.

Mais encore d’abord il y a eu les dessins de ma mère, la première boite de couleur, le premier chevalet et le chapeau de paille qui va avec. Les premières peintures. On peut encore les voir.

Parce que d’abord , encore avant, il y a eu quelque part sur le mur d’un musée à Paris,  « l’Eglise d’Auvers sur Oise » et la ferveur profonde qui sourd de la touche fougueuse de Vincent , l’empreinte de sa rage.

D’abord , et dans le même temps, il y a la transparence de l’eau jaune du bassin, le sable imprimé, les petites vies des grèves, coquilles, traces, pattes d’oiseaux, empreintes minuscules de vies menues, mues .

D’abord mais un peu plus tard il y a eu les ruines d’Ostia Antiqua, la mémoires en morceaux, si loin si proche, reconstituée dans des panneaux de plâtre par de patients archéologues.

Et la « Gradiva » qui traverse la ville rasée par la lave et la cendre, sa marche légère et rêveuse, dont il ne nous reste que l ‘image de la courbure d’un pied. Pompéi, la mémoire des corps figés en creux, leur ombre fixée aux murs. Fragments.

D’abord donc, quand tout ça a commencé à prendre, il y a eu les empreintes volées avec la terre sur les objets de cimetière, anges, Christs, Vierges, des collections d’empreintes, de pleines étagères de collections d’empreintes

Et les reconstitutions approximatives qu’elles permettent ensuite, drôles, irrévérencieuses, vivantes, mais épinglées cruellement dans des boites de collectionneur, comme on ferait avec des papillons. (« pour le dessiner il eu fallu le tuer » dit encore Vincent du merveilleux papillon dit  « tête de mort » aperçu au jardin)

Puis dans le même d’abord, il y a les empreintes relevées dans le plâtre, comme une archéologie des visages et des corps vivants, pressés contre le sable. On en sortait des mues, des peaux, des interfaces iodées.

Pare qu’on croit que c’est du corps qu’il s’agit, mais c’est du paysage qu’il parle. Du paysage qu’il digère, qui l’habite, le colonise.

Les empreintes sont ces épousailles des corps et des paysages.

D’abord donc les empreintes, la fascination de la présence des absents, cette mémoire qui se fige dans les épousailles du dedans et du dehors.

Parce que d’abord et très vite, c’est la mémoire qui obsède.

Le plâtre parfois capture avec les empreintes des objets même qui voisinent les absents ou comme des reliques, les représentent.

C’est alors que se mêle aux empreintes le fatras des choses. Les choses ! Ces réveilleuses de mémoires, ces madeleines de ceux qui se sont longtemps levés de bonne heure et autres maillots de laine qui grattent tricotés par d’aimantes mains.

D’abord, comme il a bien fallu à un moment cesser de jouer toute seule et se décider à inviter le public au festin et comme souvent la mémoire émerge autour d’un bon repas, il y a donc d’abord eu les premières « Tables »

Il y a eu d’abord la première, en 1980, elle s’appelle:«  Gradiva, ou Archéologie du ciel » , elle n’existe plus.

D’abord donc avant beaucoup de peintures de dessins de gravures ou de films, qui semblent aujourd’hui autant d’amuses gueules, il y a eu ces « tables » en bas reliefs, comme des nappes mondes.

Mais encore d’abord, il y a eu hier soir, le relevé en plâtre d’une empreinte de corps que le ruissellement de l’eau de mer avait dessiné dans le sable de la plage.

D’abord il y a eu ce corps de paysage qui sèche encore cette nuit dans la cour pendant que l’ogre dort.

Après je ne me souviens plus.

Quinie Araguas, Arcachon, 28 aout 2009





 

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